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Hivernale Bosnienne – Episode 3

Après 5 jours à galérer dans la boue et la neige, il fallait bien faire un petit break et quoi de mieux qu’une journée piétonne dans Sarajevo ? La capitale bosnienne mérite bien que l’on troque ses bottes de moto contre une paire de baskets, et que l’on arpente ses ruelles chargées d’Histoire… Parce qu’il n’y a pas que la bécane dans la vie !

Sarajevo est une ville singulière, multiculturelle, à l’Histoire trouble, tumultueuse, et qui l’affiche à chaque coin de rue. L’architecture de la vieille ville, d’influence turque dû à 400 ans d’occupation ottomane, côtoie les églises orthodoxes serbes, les synagogues… Une cohabitation de peuples longtemps paisibles, mais les nombreux impacts de balles et d’obus sur les façades vous montre sans cesse que le « savoir vivre ensemble » a été mis à mal très récemment… Il y a seulement 20 ans la ville subissait le plus long siège depuis la seconde guerre mondiale. Depuis les combats ont cessé, l’ambiance est paisible mais la situation n’est pourtant pas revenue à la normale… Les divisions sont toujours là, et nombres de serbes ont fuit la ville pour la Republika Srpska.

Ma visite commence dans le vieux bazar turque, avec ses ruelles pavées, ses innombrables bars où on boit du thé assis sur des coussins… Il y a beaucoup d’animations, de touristes qui flânent, les gens vont au restaurant, boivent un coup… Il fait bon vivre à Sarajevo !

 

 

Entre tous les différents édifices religieux on peut aussi se recueillir à l’endroit où Gavrilo Princip, un jeune indépendantiste yougoslave (d’origine serbe), assassina l’archiduc Franz Ferdinand en 1914… Et plongea malgré lui l’Europe puis le monde entier dans la Grande Guerre. Considéré par certains comme un terroriste, pour d’autres c’est un héros yougoslave qui donna l’indépendance à son peuple après des siècles d’occupations ottomane et autrichienne. Respect et robustesse Gavrilo, sans rancune Franz…

 

 

Puis je suis tombé par hasard sur une expo photo ayant pour thème le génocide de Srebrenica. Pour rappel la ville fût le témoin du massacre de 8000 hommes bosniaques musulmans par l’armée nationaliste des serbes de Bosnie, sur le motif de la purification ethnique… Une exécution de masse qui rappelle les heures les plus sombres de l’Histoire européenne…

L’expo est d’une très grande qualité, dure, éprouvante à regarder mais riche d’enseignement. S’en suit 2 films documentaires sur Srebrenica et sur le siège de Sarajevo, les images sont violentes, sans filtres… Mais cela invite à la réflexion, sur le sens du nationalisme, le savoir vivre ensemble, la tolérance… Après une ambiance aussi pesante je n’ai pas la tête à faire la fête, je rentre tôt à l’hôtel pour me reposer et réfléchir à tout ça.

Et du repos il m’en faut car le lendemain on reprend la moto ! Les hauteurs de Sarajevo sont sublimes, avec la station de ski de Jahorina, la ville de Pale… De toutes petites routes me mènent à Gorazde et à la rivière Drina.

 

 

Puis mes pérégrinations me feront retrouver les chemins de terre, dans les montagnes du nord-est de Sarajevo. On est très près de la capitale et pourtant les villages et hameaux traversés semblent hors du temps et complètement isolés du reste du monde. Retrouver un peu de calme après mon escapade citadine me fait du bien, je roule sans pression sur des pistes désertes qui errent dans la montagne… Pas de neige cette fois-ci, même si il y en a parfois sur les bords je ne serai pas bloqué !

Je profite d’un arrêt dans un bistro pour boire un verre avec un groupe de jeunes bosniens intrigués par ma moto. Ils sont assez loquaces, et sans que j’ai à poser la question ils engagent la conversation sur l’après-guerre et la situation des jeunes dans ce pays. Le constat n’est pas reluisant, ils voudraient bien aller de l’avant mais les querelles des anciens et la politique font que le pays patauge depuis 20 ans… Leur avis est bien sûr très subjectif, mais c’est toujours intéressant d’avoir le ressenti des locaux.

 

 

Ce soir j’ai la chance d’avoir un plan couchsurfing à Tuzla, une des plus grandes villes de Bosnie. Mon hôte me fait découvrir la ville et me raconte son Histoire, comme toujours lié à la guerre. Nous aurons toute la soirée pour parler de l’aspect ethnique et religieux de la politique d’ex-yougoslavie, qui pour nous français parait absurde et malsain… Mais qui a du sens chez eux.

Visite de Tuzla de nuit…

 

 

Mon itinéraire me conduira ensuite à Zavidovici, une petite route de montagne au cœur d’une forêt dense et préservé où le bitume ne survivra pas bien longtemps… Il me faut dégonfler les pneus, au risque de rester bloquer dans la boue. Ici les camions de forestiers doivent faire des va-et-vient incessant qui retournent la terre et massacrent tout. La grosse Ténéré part dans tous les sens et il n’y a personne à l’horizon pour venir m’aider en cas de pépin… Parfait pour être en confiance !

Entre deux bains de boue j’ai quand même droit à de belles portions roulantes en bord de rivière… Mais ça s’était avant le drame !

 

 

Le drame c’est encore et toujours la neige, qui arrive progressivement… D’abord sur les bas côtés, puis quelques plaques qui commencent à recouvrir partiellement la piste… Là on espère que ça va passer, que ça sera mieux plus loin… Mais se bercer d’illusions ne sert à rien, quand vous avez les deux roues dans la neige et qu’il vous reste plusieurs kilomètres pour atteindre le col ça ne risque pas de s’améliorer !

J’arrive malgré tout à progresser, grâce aux traces d’un 4X4 passé avant moi. Bien calé au fond de l’ornière j’envoie du gaz pour faire avancer tant bien que mal une moto qui patine à tout va. Et dire que j’ai monté des pneus tout-terrain, je n’ose pas imaginer la galère avec des pneus routiers !

Les cale-pieds et le sélecteur de vitesse racle la neige, je suis obligé de lever les jambes et de les poser sur le haut de l’ornière… La moto est plus stable mais c’est épuisant de « pédaler » pour qu’elle avance. Le bas des pare-carters commencent eux aussi à frotter, c’est mauvais signe… Arrivé à la croisée de deux chemins les traces du 4X4 disparaissent… Apparemment il n’a pas réussi à aller plus loin ! En même temps l’épaisseur de neige est encore plus importante, et il reste 3 kilomètres d’ascension jusqu’au sommet… En gros ma route va elle aussi s’arrêter ici, encore une fois vaincu par l’hiver bosnien ! Les TKC 80 font le job depuis le début du voyage, mais dans 50cm de poudreuse avec une moto de 300kg… Faut pas rêver non plus !

Je dois donc revenir sur mes pas, 30 kilomètres de pistes fait pour rien… Enfin ça me laissera quand même des souvenirs !

 

 

A la fin de l’après-midi je suis trempé et recouvert de boue, une vieille serpillère dégueulasse qui se traine sur la route… J’avais prévu de rejoindre Travnik mais je suis bien trop crevé pour aller plus loin, un hôtel me tend les bras à Zenica et ça fera très bien l’affaire. J’ai droit à un palace: comptoir de marbre à la réception, grooms pour porter mes sacs, une chambre immense avec une salle de bain plus grande que mon appart’… Le grand luxe ! Et quand on m’annonce que j’ai un accès illimité au spa j’en ai presque les larmes aux yeux… Bon, plus concrètement celui qui va pleurer c’est plutôt celui qui va nettoyer derrière moi ! Je laisse de la boue partout sur mon passage et mes affaires dégoutante massacrent la chambre… L’aventure ça laisse des traces !

Pour une fois que je me paye un bel hôtel dans ma vie je vais en profiter à fond, donc direction le spa pour me remettre de mes émotions. Sauna, jacuzzi, quelques longueurs dans la piscine pour se décrasser… L’aventure 5 étoiles ! En grand bavard j’engage la conversation avec le maitre nageur. Il a vu ma moto pleine de boue sur le parking et il a beaucoup de questions à me poser sur mon voyage. Il me racontera aussi l’Histoire difficile de sa région pendant la guerre, mais aussi son Histoire personnelle… Son bras droit est traversé d’une immense cicatrice, souvenir d’un tir de kalachnikov… Mais il ne garde pas d’amertume de cette période, et m’explique à quel point la jeunesse cherche à aller de l’avant pour éviter les erreurs du passé. Il est musulman, marié à une croate catholique, il se fout pas mal des clivages ethnique… et souhaiterai que tous ses compatriotes en face autant.

Je finirai cette soirée au restaurant de l’hôtel, aujourd’hui je ne me refuse rien ! En même temps à 60€, spa et repas compris, je ne vais pas me priver ! Les bosniens servent copieusement, l’entrecôte est massive et il faut au moins ça pour reprendre des forces !

Le lendemain je rallierai enfin Travnik, l’occasion de visiter sa vieille citadelle qui surplombe la ville et ses mosquées…

 

 

Puis la route prend de la hauteur et la direction de la station de ski de Babanovac, un superbe enchainement de virages à flanc de falaise avec la vue sur Travnik. Par contre il est fortement déconseillé de sortir de la route… La pause pipi doit se faire sur le goudron !

 

 

Au sommet le calme règne dans la station, la saison est finie et je suis seul pour profiter de la montagne… Pour une fois la neige n’est pas là pour m’emmerder… Mais plus pour embellir le panorama !

 

 

Jusqu’à Banja Luka la route est incroyablement propre pour le pays, le bitume accroche et je m’amuse à mettre du rythme pour la première fois depuis le début du voyage. Il n’y a rien à voir de particulier, juste le plaisir de piloter ma moto pendant 80 kilomètres jusqu’à arriver dans la capitale de la République serbe de Bosnie.

Je passerai une nouvelle après-midi citadinne après avoir largué la moto dans un hôtel du centre-ville. Banja Luka est très vivante, animée, les ruelles et les bars sont bondés… ça fait plaisir de voir un peu de monde ! Et puis l’architecture majestueuse des églises orthodoxes invite à flâner dans les rues !

 

 

J’aime l’atmosphère calme et joyeuse de Banja Luka, mais malheureusement je n’avais pas prévu d’y rester plus qu’une après-midi… Surement que ça mérite un peu plus de temps pour en apprécier tous les recoins… J’y reviendrai c’est sûr !

Mais il est l’heure de finir ce voyage, et si possible en beauté ! Les routes nationales étant moches et d’un ennui quasi mortel, je bifurque donc vers le parc national de Kozara au nord-ouest de Banja Luka. L’itinéraire prend une toute autre saveur, viroleux, sportif, dans des forêts de sapins qui me rappellent mes Cévennes.

Puis au milieu du parc le bitume laisse ça place à une piste forestière somptueuse, qui s’égare dans la forêt… Une dernière occasion de faire un peu de tout-terrain dans un cadre absolument magique ! D’ailleurs je roule au ralenti pour profiter de chaque instant passé sur le chemin

 

 

Je suis le panneau indiquant Rakovica, à droite donc et en toute confiance… Mais la piste se transforme en champ de boue où la Ténéré a bien du mal à progresser… A force de transpirer je décide de poursuivre à pied pour voir plus loin car je flaire l’embrouille… Et en effet c’est un piège ! Ça vire à l’épreuve d’enduro, je pourrais éventuellement survivre quelques kilomètres à ce niveau avec ma grosse mais pas 50… Et de toute façon la piste est un cul de sac… Les récents orages ont fait raviner la montagne et la trace a été emporté 50 mètres plus bas par les eaux, un truc infranchissable à moins d’être champion du monde de trial !

Je fais donc demi-tour et prends la piste qui part à gauche, celle-ci ne figure pas sur ma carte, n’a pas de panneau… Bref je ne sais pas où je vais et pourvu que j’arrive quelque part ! Pour une fin de voyage je finis vraiment en beauté… Le terrain est délicat, parfois je ne sais même pas si je suis sur un chemin ou dans le lit d’une rivière asséchée… Ça secoue dans tous les sens !

Mais au bout d’une heure de galère j’atterris finalement dans une ferme, dont le propriétaire a bien du mal à comprendre ce que je viens faire ici avec ma grosse moto ! Mais, sympa, il m’indique la direction à suivre et me fait comprendre que j’en ai bientôt fini avec la terre. Le bitume me tend les bras mais quelque part je repartirai bien en arrière dans la forêt…

Le goudron signifie la fin d’un voyage propice aux rencontres et à la réflexion… J’ai adoré ces discussions du bord de route, au fond d’un bar, d’une ruelle… Avec ces bosniens tous d’une incroyable gentillesse. Je repars maintenant avec des idées et des images plein la tête, et de quoi réfléchir pour la longue et pénible route du retour…

Je ferai une halte en Slovénie pour faire monter mes pneus routiers et, chargé comme un mule, je mettrai le cap vers la France avec une dernière étape marathon de 1100 kms (et 14h de moto) avalée d’une traite !

 

 

 

3 réflexions au sujet de « Hivernale Bosnienne – Episode 3 »

  1. Marc dit :

    J’ai découvert votre blog par vie de motard et c’est un plaisir de vous lire. Bravo pour ce road trip et je vous en souhaite pleins d’autres (afin d’avoir le plaisir de vous lire). Bonne route

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  2. Demoulin dit :

    Anto, ta façon de raconter le voyage est vraiment cool, tu ne fais pas un reportage de « motard seulement » on visite avec toi, et pourtant on sent le poids de la Yam dans l’ornière. JM

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    • xt1200z dit :

      Merci, c’est le but du blog: partager mes expériences et faire vivre le voyages. La moto n’est qu’une partie du voyage, après il y a le reste comme les rencontres, l’Histoire des pays… Et c’est souvent plus intéressant que la bécane 😉

      Répondre

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