Aller au contenu

Géorgie On My Mind – 2 – Le Pays des « Cœurs Sans Peur »

Aujourd’hui je pars à la rencontre des « Cœurs sans peur », un surnom donné aux habitants de Haute-Svanétie dans les montagnes du Caucase… Une terre rude et isolée où pour survivre il vaut mieux être un barbare à la Conan. Ushguli, leur village, culmine à 2000 m d’altitude et il ne livre ses secrets aux voyageurs qu’au terme d’une longue et pénible piste… Qui me tend les bras ! 

Je quitte mon coin de bivouac paradisiaque sous un grand soleil qui me gonfle le moral à bloc après des jours passés sous l’orage en Turquie. Les prévisions météo sont bonnes pour la semaine et je vais pouvoir profiter à fond de la Géorgie…

Finalement je n’étais qu’à quelques kilomètres du col de Goderzi (2025 m), et il s’agit en fait d’une station de ski. Vu l’état de la piste je me demande bien quel type de touriste peut bien venir ici ! Une station réservée aux propriétaires de chars d’assaut surement…

 

 

Ce qui est drôle c’est la présence de goudron sur les 200m qui traversent la station/hameau… Pourquoi juste à cette endroit ?! La route devait être bitumée à l’époque de URSS je pense, quand Joe Staline et ses potes du Politburo venait faire du snow… Mais depuis les éléments l’ont recouvert de terre et de pierres… Pour le plus grand plaisir des motards !

Arrivé au fond de la vallée je retrouve définitivement le bitume, enfin… Pas pour très longtemps, en Géorgie seulement 30% des routes sont goudronnées donc la terre ne devrait pas tarder à revenir ! Je prends la direction de Sairme, une station thermale réputée et dont le tracés viroleux de la route sur ma carte attire mon œil de motard averti… Tant que ça tourne il y a du plaisir !

10 kilomètres plus loin me voilà stoppé face à une barrière et des panneaux de parc national… J’ai peur d’avoir fait fausse route mais une femme vient à ma rencontre et me confirme la direction en ouvrant le barrage. Après vérification sur les écriteaux je vois surtout des recommandations concernant les véhicules: « offroad vehicle only »… C’est fait pour moi !

Et effectivement avoir un 4×4 est fortement conseillé ici ! Sans être très technique la piste n’est pas de tout repos et mieux vaut être averti à l’avance. Du coup je croise un groupe de touristes dans des 4×4 de locations, les tours organisés sont réputés ici et malheureusement ce n’est pas une population avec laquelle je m’entends très bien… Ils roulent à deux à l’heure sans se soucier de moi, ne me laisse pas doubler et s’arrête sans cesse pour prendre des selfies en mode « baroudeur de l’extrême »… Sauf qu’ils sont en mocassins et escortés de guides ! Bref, des beauf de la brousse… Et je comprends vite que le seul moyen de se débarrasser du beauf c’est de le doubler comme un sagouin poignée dans l’angle et peu importe si il doit me prendre pour un sauvage !

Un fois le « problème » réglé j’accède à une région vraiment reculée. Aucun village croisé, juste quelques fermes ici et là avec leurs animaux en liberté sur le chemin. Le Caucase n’est pas le bout du monde, et pourtant on s’y sent tellement loin de la maison… Et quelle sensation de liberté sur cette piste déserte, au milieu de rien… Il n’y a que le brouillard pour me gâcher la vue, mais je ne vais pas faire la fine bouche…

 

 

Je croise un couple de géorgiens en balade dans leur 4×4, très sympa ils engagent la discussion et me demande d’où je viens, ce que je fais ici… C’est incroyable comme les gens ici sont avenants et bienveillants, à chaque fois que je rencontre quelqu’un ils viennent spontanément discuter ! Comme je suis un grand bavard je ne vais pas m’en plaindre, voyager en moto est souvent une activité très solitaire et j’ai besoin de ce contact avec les locaux. Et puis il y a toujours de bons conseils à retenir de ces bavardages ! Une petite photo souvenir et c’est reparti…

 

 

J’arrive à Sairme, une station thermale plutôt huppée et réputée visiblement auprès de la bonne société géorgienne… Hôtels luxueux, grosses voitures… Ça sent un peu trop le fric à mon goût ! Je ne m’arrête donc pas et continue ma route vers des contrées plus tranquille.

Même si le bitume est plutôt bon il ne faut pas s’enflammer sur la poignée de gaz, ici il y a du bétail partout sur la route et les surprises ne manquent pas à chaque virages ! Ici une famille de cochons qui vient à ma rencontre, c’est surement mon odeur d’aventurier mal lavé qui les attire…

 

 

De Kutaisi à Zugdidi c’est de la plaine, tout droit, tout plat, pas un virage… Un peu chiant mais au moins ça roule. Et puis je croise un peu de monde, il y a toujours des occasions pour discuter dans un bistro, à la station service… Même si c’est moche je suis heureux de rouler. Et puis j’arrive aux portes de la Svanétie, un des objectifs majeurs de mon voyage et synonyme d’aventure ! Mais je n’irai pas plus loin aujourd’hui, il me faut trouver un endroit où dormir et les nuages bien sombres qui arrivent à l’horizon me convainquent de trouver autre chose qu’un bivouac… Ça sera au moins l’occasion de prendre une douche, ce qui ne me fera pas de mal après deux jours avec pas mal de tout-terrain !

Toutes les chambres d’hôtes sont fermées, à force de tourner je finis par trouver un hôtel dans un bled paumé. Les lieux sont décrépis, un peu glauque et au confort sommaire… Mais bon, pour 18€ il y a de l’eau chaude et du wifi alors on ne va pas se plaindre !

 

 

Le lendemain je prends la direction de Mestia, capitale de la Haute-Svanétie, et j’ai les yeux rivés sur la rivière Enguri et son eau turquoise. Les gorges sont sublimes, et j’ai bien du mal à avancer car tous les virages méritent leurs pauses photo ! Pourtant il vaut mieux être concentré, je commence à m’accommoder des animaux sur la route mais ce ne sont pas les seuls pièges… Les tunnels ne sont pas éclairés, et je vous laisse imaginer la surprise quand, sans s’y attendre, on traverse une flaque de boue lancé à vive allure avec une moto de 300 kg ! Ça m’est arrivé une fois, la bécane est partie dans tous les sens et sincèrement je ne sais même pas comment j’ai fait pour ne pas croiser les skis… Une petite piqûre de rappel, sans gravité, mais ici même sur le goudron il faut se méfier sans cesse et être prêt à toutes les éventualités !

Une pause photo pour se calmer, et ça repart…

 

 

 

 

Je tombe sur un petit restaurant, sans prétention, et je me dis que c’est l’occasion de découvrir la cuisine géorgienne. Rien de très classe, les lieux semblent surtout fréquentés par des routiers, mais au moins c’est authentique ! Bien sûr la carte est en géorgien, comme je n’y comprend rien je me contente de commander en pointant les plats dans les assiettes des autres. On me sert donc un Khatchapouri, une pâte à pain recouverte de beurre fondu et garnie de fromage… Un truc costaud et nourrissant, parfaitement adapté à ma façon de voyager ! En plus c’est pas cher, repas et boisson pour 3€, le Khatchapouri va devenir un rituel dans mon roadtrip !

 

 

 

 

J’arrive enfin à Mestia, sous les regards des innombrables tours de garde qui bordent la route… La région a une Histoire singulière et violente, coupée du monde par le relief elle s’est développée aux travers d’incessantes guerres de clans. Chaque village était une tribu, et pour faire simple toutes les tribus étaient ennemies… Les tours ne sont donc pas là pour rien, on craignait son voisin et donc l’espionner était vital ! La Svanétie a aussi longtemps eu la réputation d’être insoumise aux différents régime que connu le pays. Ici on est fier de citer tous les princes et rois géorgiens qui sont mort en tentant de soumettre cette région de barbares… Avec le temps les chefs de guerre se sont transformés en parrains de clans mafieux, perpétuant une certaine culture de la violence… Jusqu’aux années 2000 où le gouvernement a mené une lutte anti-terroriste particulièrement active pour pacifier les lieux et reprendre le contrôle. Depuis la sécurité est assurée pour les touristes, et Mestia est devenue réputée pour l’alpinisme, la randonnée,…

 

 

 

Mais pas le temps de s’arrêter, ce qui m’intéresse est plus loin dans la montagne… Le village d’Ushguli, un des plus haut d’Europe (2200 m d’altitude) et certainement l’endroit le plus reculé et isolé du pays. La route qui y mène et une piste apparemment difficile et qui est bloquée par la neige 6 mois par an. Un itinéraire de 100 kilomètres qui promet !

Dès le début on est mis dans l’ambiance, les quelques villages traversés sont des plus rustiques… Pour ne pas dire délabrés ! Difficile de croire que je suis encore en Europe, on se croirait tellement loin de la maison…

 

 

 

 

Pour l’instant la piste est plutôt facile, je m’attendais à quelque chose de bien plus compliqué mais je ne vais pas m’en plaindre ! Je peux rouler tranquillement le long de la rivière, flâner et profiter des panoramas… Presque une promenade de santé ! Attention tout de même aux flaques de boues bien épaisses qui jalonnent l’itinéraire, mes pneus ne sont pas forcément adaptés pour ça et si je n’y prend pas garde je vais finir par me sortir !

 

 

 

 

Plus j’avance et plus les villages rétrécissent, ce sont plutôt des micros hameaux en vieille pierres qui semblent sortir du moyen-âge… Je remonte le temps sur la route d’Ushguli

 

 

 

 

Je ne rencontre toujours pas de difficultés particulières mais c’est la fin de l’été et tout est relativement sec… Je ne peux m’empêcher de penser à l’état de la piste pendant l’automne, avec les orages, les premières chutes de neige… Ça doit prendre une toute autre tournure, en cas de sortie de route il n’y a pas grand chose pour vous rattraper… Et en cas de panne les vautours seront plus rapides que la dépanneuse… Un panneau nous dit que la piste est interdite pour les plus de 50 tonnes, mais est-ce bien utile de le rappeler… Qui amènerai un semi de ce poids là sur une route pareil ?!!

 

 

 

 

 

 

J’arrive sur un plateau pelé qui me fait penser à la steppe mongole et au loin Ushguli apparaît… L’objectif est atteint !!

 

 

 

 

Bon c’est un peu moins grandiose que ce que j’imaginais, en fait c’est plutôt un ensemble de hameaux qu’un village et l’architecture ne paye pas de mine… Mais tout de même, quand on imagine les conditions de vie ici cela impressionne… Ushguli veut dire « coeur sans peur », et représente au yeux des géorgiens le summum de la résistance en Svanétie… Un lieu qui n’a jamais pu être conquis par les rois, qui a toujours tenu tête aux envahisseurs et qui vit selon ses propres règles dans un environnement des plus rude et austère… Nul doute qu’ici le cœur d’un homme ne peut connaitre la peur

 

 

 

 

Il me faudrait planter la tente sur place mais je ne suis pas très inspiré… En fait il y a beaucoup de randonneur et l’endroit manque d’un peu de calme. Je poursuis donc mon chemin à la recherche d’un coin rien que pour moi… Et puis j’ai envie de rouler !

C’est dingue comme on se sent tout petit dans ce paysage… Le motard n’est pas grand chose au milieu des montagnes de Svanétie

 

 

 

La fatigue se fait malheureusement sentir et rouler dans ces conditions n’est vraiment pas conseillé… Comme je ne trouve pas d’endroit où bivouaquer il me faut sans cesse poursuivre et cela devient stressant… Surtout que la piste n’est plus aussi roulante, la technicité augmente crescendo et je slalome entre les pierres et les troues remplis d’eau…

Dans une descente pleine de cailloux un poids-lourd fonce sur moi… On ne peut pas se croiser, il me faudrait manœuvrer mais avec le terrain ce n’est pas si simple… Malgré mes signes et mes cris ils ne veut pas ralentir et je n’ai pas d’autres choix, pour éviter l’accident, que de me jeter sur talus en lâchant la moto ! Le conducteur a surement pensé que je roulais sur un scooter de 80 kilos et que je pouvais le manipuler comme un vélo… Le pire c’est que cet enfoiré, qui transporte 5 ou 6 gaillards géorgiens, ne s’arrête même pas pour m’aider ! Je relève donc la moto sur un coup de sang et poursuis ma route… Jusqu’au prochain trou !

Des flaques il y en a partout, plus ou moins profondes, mais avec la fatigue l’attention diminue… Cette fois-ci je me fais surprendre par une pierre en plein milieu et voilà que je me vautre à nouveau dans une cuvette boueuse… La moto est presque sous l’eau ! Dans la panique j’ai arraché ma sacoche de réservoir, attrapé le guidon et relevé les 300 kg de la Ténéré comme une vulgaire mobylette ! La peur de noyer le moteur surement, l’adrénaline donne des forces… Mais là je n’en ai plus beaucoup, et ça commence à devenir vraiment dangereux de rouler dans ces conditions… La nuit commence à tomber, il n’y a nul part où camper et si j’ai un accident plus grave plus personne ne pourra m’aider… Trouver une solution devient obligatoire, je poursuis donc avec la force du désespoir…

L’état de la piste empire à chaque kilomètres, le dénivelé est important et la route n’est parfois qu’un amas de pierres… La moto saute de marches en marches, et clairement je n’ai plus envie de faire de l’enduro… Arrivé au bout de mes forces je fini par tomber sur un petit village, Tsana, avec un panneau: « Guesthouse »… Me voila sauvé !!

 

 

 

 

L’endroit est des plus rustique, pas de lit dans les chambres… On dort sur le plancher ! J’explique alors au patron que je préfère camper dans le jardin, mais celui-ci insiste pour m’ouvrir une piaule et faire sécher mes affaires détrempées au coin d’un poêle à bois. Des personnes d’une gentillesse incroyable, il m’allume un feu, sa femme étend mes chaussettes sur des cordes… Ils me traitent comme leur fils ! On me prépare un repas de « roi » pour me remettre de mes émotions… Et je file me coucher sans demander de « rab », épuisé par ma journée… Effectivement le pays des « Cœurs sans peur » se mérite, mais je suis fier de cette expérience… J’oublierai bien vite la difficulté, seul le souvenir des paysages et des sensations restera

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *